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L'ETAT DE DROIT ET DE DEMOCRATIE PLURALISTE AU BENIN (SUITE)

2.2         Le « gouvernement » de la Cour Constitutionnelle

A l’évidence, « de toutes les institutions de l’Etat béninois, la Cour Constitutionnelle est celle qui détient le plus grand pouvoir »[9]. D’une part, ses compétences vastes et multiformes, de loin supérieures aux compétences du Conseil Constitutionnel français, la rangent parmi les plus puissantes juridictions constitutionnelles ; en particulier, l’article 3 de la Constitution ouvre à tout citoyen le droit de se pourvoir devant elle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels. D’autre part, la Cour Constitutionnelle, installée le 7 juin 1993, a su imposer une jurisprudence audacieuse pour jouer « un rôle de premier plan dans la création du droit et dans le renforcement de l’Etat de droit »[10]. Toutes proportions gardées, une variante du gouvernement des juges semble s’être enracinée au Bénin. La Cour Constitutionnelle s’est, en effet, affirmée non pas seulement comme un censeur des lois inconstitutionnelles, mais aussi comme un co-législateur expert (2.2.1) et même un constituant négatif (2.2.2).
2.2.1          Un co-législateur expert

Le législateur est soumis à l’étroite surveillance de la Cour Constitutionnelle que les adversaires de la loi votée par l’Assemblée Nationale n’hésitent pas à saisir pour que soit sanctionnée une inconstitutionnalité flagrante ou prétendue, y compris pour les questions de procédure les plus vénielles. A titre d’exemple, Me Adrien HOUNGBEDJI et les 8 députés de son parti –le PRD- viennent de saisir la Cour de la loi sur le service militaire ; ils ne contestent pas le fond de la loi, mais estiment qu’elle viole l’interdiction constitutionnelle faite aux parlementaire d’initier et de voter une loi qui n’est pas financée. De nombreuses censures ont été prononcées sur les sujets les plus divers : la Cour a invalidé deux lois électorales visant à interdire de compétition présidentielle Nicéphore SOGLO en 1996 et Yayi BONI en 2006[11] ; des lois d’amnistie ont été annulées pour vice de procédure[12] ; la Cour a invalidé, en 2001, une version de la Charte des partis politiques sanctionnant la transhumance politique[13]

Mais la Cour Constitutionnelle ne remplit pas seulement la fonction de « législateur négatif » qu’a théorisé Hans KELSEN ; elle est aussi devenue un maillon essentiel de la chaîne de fabrication de la loi. Aucune réforme ne peut voir le jour sans l’aval des sept sages de Cotonou. La décision DCC 02-144 du 23 décembre 2002 sur le Code des personnes et de la famille en témoigne avec éclat. Dans cette décision, la Cour Constitutionnelle s’autorise à corriger l’œuvre de codification en imposant au législateur « son » orthodoxie juridique : elle procède à la fois à un contrôle de la qualité formelle du code et à son amendement. Par ailleurs, elle décide non sans hardiesse que le principe constitutionnel de l’égalité entre les époux impose de bouleverser les mœurs familiales : La déclaration d’inconstitutionnalité la plus spectaculaire frappe la polygamie, déclarée contraire à l’égalité entre l’homme et la femme. « Une grande première en Afrique »[14] !

Co-législateur expert, la Cour Constitutionnelle s’est récemment aventuré sur un terrain encore plus glissant, celui de défenseur de l’Etat de droit et de démocratie pluraliste contre le pouvoir de révision de la Constitution.

2.2.2          Un constituant négatif

La Constitution du 11 décembre 1990 est l’une des rares constitutions africaines francophones à ne pas avoir fait l’objet d’une révision, de l’une de ses révisions qui trop souvent défigurent les acquis du Renouveau démocratique. Une première tentative a échoué en 2003-2005 : c’est la mobilisation de certaines forces politiques mais surtout de la société civile, avec pour mot d’ordre « Touche pas ma Constitution ! », qui a tué dans l’œuf le projet visant à permettre à Mathieu Kérékou de briguer un troisième mandat présidentiel en 2006. La seconde tentative avait pour objet de prolonger d’un an la durée de la quatrième législature commencée le 22 avril 2003. La Cour Constitutionnelle a été saisie de 24 recours contre la loi de révision votée par l’Assemblée Nationale le 23 juin 2006. Si elle avait reproduit la jurisprudence française, la Cour aurait dû se déclarer incompétente : sa mission est de servir la Constitution et non d’être maîtresse de son contenu. En acceptant d’examiner les recours, la Cour Constitutionnelle, dans sa décision DCC 06-74 du 8 juillet 2006, s’est résolument affranchie du modèle français pour se donner sa propre politique jurisprudentielle. Elle a considéré, en substance, que le contrôle d’une loi de révision était assurément raisonnable, souhaitable et praticable dans un Etat de droit démocratique. Raisonnable, parce que la Constitution borne le pouvoir de révision, en édictant certaines limites de procédure et de fond. Souhaitable, parce que le législateur constitutionnel, tout comme le législateur ordinaire, peut « errer », commettre un excès de pouvoir ; seul un contrôle juridictionnel paraît en mesure d’éviter, dans les limites fixées par la loi fondamentale, une révision liberticide[15]. Enfin, le droit comparé enseigne que des juridictions ont affirmé et exercé, à des degrés divers, un contrôle de la révision.

La Cour Constitutionnelle a opté pour un contrôle maximaliste de la loi de révision, là où la Cour du Mali en 2001 et le Conseil Constitutionnel du Tchad en 2004[16] ont fait preuve de davantage de prudence. La Cour béninoise a, d’abord, invalidé la loi de révision pour divers vices de procédure. Elle a, ensuite, déclaré que le mandat des députés ayant été fixé à 4 ans par consensus à la Conférence nationale seul un nouveau consensus national pouvait remettre en cause cette durée. Elle a donc ajouté une limite non écrite à l’exercice du pouvoir de révision, pour contrer un amendement adopté par 71 députés sur 83 (85,5% !!!). Les députés ont émis de vives protestations contre cette sentence ; le Président de l’Assemblée Nationale Idji KOLAWOLE s’est publiquement interrogé : «Nous députés, sommes-nous encore en droit d’exercer nos prérogatives de représentants du peuple vis à vis de la Constitution?»[17] Il n’empêche que la décision de la Cour Constitutionnelle, « Constituant négatif », a été respectée et qu’une épée de Damoclès pèse sur la révision à venir, préparée sous l’égide du Président Yayi BONI.
*
Sans la Cour Constitutionnelle, l’Etat de droit et de démocratie pluraliste ne serait pas ce qu’il est au Bénin. Maurice GLELE, « père fondateur » de la Constitution et membre de la Cour pendant 10 ans (1993-2003), affirme très justement que la Cour Constitutionnelle « dont l’accès est ouvert à tout citoyen … apparaît comme la clef de voûte de tout le système politico-juridique du Bénin nouveau ». Un système qui a fait indéniablement ses preuves et que les béninois auront à cœur –j’en suis sûr- de corriger et d’améliorer dans les années à venir sur divers points. 
 
Voilà, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, les principales considérations sur l’Etat de droit et de démocratie pluraliste au Bénin qui peuvent servir de fil d’Ariane à vos questions et à nos échanges à venir.
Je vous remercie.
 
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
 

[1] Maurice GLELE, « Le renouveau constitutionnel du Bénin : une énigme ? », in Mélanges Alliot, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 328.
[2] « L’Etat de droit au quotidien : bilan et perspectives dans l’espace francophone », Rapport général, Colloque international, Cotonou, 11-14 septembre 1991.
[3] Dominique ROUSSEAU, « L’Etat de droit est-il un Etat de valeurs particulières ? », in Mélanges Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 885 et s..
[4] Ordre National des Avocats de la République Populaire du Bénin, Mémorandum, 16 octobre 1989.
[5] Luc SINDJOUN « Les nouvelles constitutions africaines et la politique internationale : contribution à une économie internationale des biens politico-institutionnels », Afrique 2000, Mai 1995, n°21, p. 39.
[6] Gérard CONAC, in L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, 19p. 37.
[7] NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA, Droit congolais des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2004, p.313.
[8] DCC 02-58 du 4 juin 2002.
[9] Samson DOSSOUMON, « La Cour Constitutionnelle, une tour de contrôle des institutions », in UJPPB et Fondation Konrad Adenauer, Connaître la Constitution béninoise, Séminaire, 22-23 juillet 1994.
[10] Maurice GLELE, « Le renouveau constitutionnel du Bénin : une énigme ? », p. 329.
[11] DCC 05-069 des 26 et 27 juillet 2005
[12] DCC 98-039 du 14 avril 1998 et DCC 01-060 du 25 juillet 2001
[13] DCC 01-083 du 27 août 2001
[14] Wildaf West Africa News letter, n° 14, avril 2003.
[15] Voir W. SABETE, Pouvoir de révision constitutionnelle et droits fondamentaux. Etude des fondements épistémologiques et européens de la limite matérielle du pouvoir constituant dérivé, Presses universitaires de Rennes, 2006.
[16] V. Stéphane BOLLE, « Le contrôle prétorien de la révision au Mali et au Tchad : un mirage ? », Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives, n° 17-décembre 2006, p. 3 et s.
[17] Antoine Idji KOLAWOLE, Président de l’Assemblée Nationale, L’Autre Quotidien, 21 juillet 2006.
Tag(s) : #Veille juridique
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