Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Hebdomadaire Catholique de Doctrine et d'Information


Le civisme, rien que le civisme.

 

Le développement de notre continent passe aussi par le civisme.

 

Le civisme devrait être la chose la mieux partagée au monde. Nos enseignants de l'école primaire appelaient ces fameux cours, des leçons de morale, et s'y adonnaient avec une application qui force le respect. Les cours n'étaient pas seulement théoriques. Ils étaient aussi pratiques sous la forme de vives remontrances que vous administrent ces instituteurs à la conscience tatillonne quand ils vous croisent en ville. En effet, il ne fait pas très bon de rencontrer son maître d'école sur son chemin hors de l'enclos scolaire, dans certaines circonstances peu reluisantes qui ne font pas honneur à son enseignement en classe. Ou il est tolérant et il vous évite momentanément une décharge de sa colère. Ou sur le champ, il vous reprend vertement sans autre forme de procès. Dans tous les cas, vous n'y échappez pas et à la prochaine séance de leçons en classe, vous prendrez, sans en laisser une miette, une mémorable raclée que jamais, vous n'oublierez de votre vie.

Le programme de ces rois du civisme est intarissable : la politesse, la propreté, l'amour du travail, le respect du bien commun, bref tout ce qui témoigne du savoir-vivre chez un homme et structure sa personnalité.

Ceux qui n'ont pas appris toute la panoplie du savoir-être à l'école, l'ont tout de même appris chez les parents qui, sans être allés à l'école du blanc, savent par intuition et avec pédagogie ce qu'il faut pour éduquer un être humain. Quelques exemples illustrent la méticulosité éducatrice de nos parents : on ne rencontre pas le voisin sans lui adresser un salut, on ne parle pas la bouche pleine, on n'abîme pas le bien public, on ne prend pas ses aises quand une grande personne est présente à côté de vous etc. A badiner avec ces principes, on se fait tirer les oreilles. Au sens propre du terme. Avec quelques coques tranchantes de noix de palme qui vous pincent littéralement les lobes de l'oreille. La douleur ressentie est indescriptible. De quoi vous faire renoncer à jamais à la faute incriminée.

La réalité semble aujourd'hui donner tort aux uns et aux autres. Ce qui se passe de nos jours est aux antipodes de ce qu'ils nous apprirent jadis et que beaucoup relèguent maintenant aux oubliettes.

L'un des endroits où s'exprime le savoir-être est la circulation sur nos routes. Le code de la route, cette expression publique de la politesse universelle est foulée joyeusement aux pieds sans gêne et sans contrition. Zigzaguant dangereusement entre les innombrables nids de poule de nos routes, voitures et motos cherchent plus à trouver leur chemin qu'à respecter un quelconque règlement de la circulation. Le motocycliste qui surgit d'on ne sait où vous lance une bordée d'injures et se promet même de vous apprendre le code de la route au cas où vous l'auriez oublié.

Les désagréments dans les règles de circulation routière ne se comptent plus. Les passagers des transports en commun ne sont pas de reste. En portant parfois une grave atteinte à l'environnement par des pratiques peu orthodoxes, ils donnent du coup quelques soucis aux responsables de l'hygiène. Ayant fini leur repas dans un taxi, certains n'hésitent guère à balancer par-dessus bord leurs feuilles d'akassa ou les détritus de canne à sucre qui peuvent malencontreusement atterrir dans votre visage. Vous avez juste eu le malheur d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Le temps de réaliser ce qui vous arrive, la voiture est partie depuis belle lurette et le fautif ne prendra jamais la mesure de son forfait. Personne ne dira rien et d'année en année, les faits incriminés continueront leur petit bonhomme de chemin et se transmettront de génération en génération. Drôle de tradition !!!

De toutes les façons, ce n'est pas en lisant les journaux, ni en se mettant en galante compagnie, ni en se calant confortablement sur leurs motos que ceux qui sont officiellement commis à la tâche de faire observer les lois de la circulation verront réellement ce qui se passe pour y remédier sérieusement

Le laxisme change ici de registre et entache à présent un des aspects les plus précieux de notre africanité. S'il y a une richesse qui nous démarque de l'Occident, c'est notre solidarité qui s'exprime de façon élémentaire par l'intérêt que l'on se porte les uns aux autres sans forcément se connaître. Aujourd'hui, se dire bonjour dans la rue devient un rituel auquel très peu sacrifient. Dans les lieux d'affluence publique, on peut se regarder en chien de faïence, la mine patibulaire et rébarbative, l'air hargneux ou tout simplement indifférent. Nos valeurs africaines commenceraient-elles à prendre l'eau de toutes parties ? Comment expliquer ce désastre moral ? Résultat : quelques situations inénarrables, telles celles qui donnent à voir personnes âgées et jeunes gens se bousculer et échanger des propos aigres-doux dans les transports publics. Laisser sa place assise dans un bus ou un taxi devient un exploit que ne consent plus à réaliser personne.

Le sport est une excellente école d'éducation à l'endurance et à la maîtrise de soi. Passe encore que les exploits de l'adversaire soient accueillis par des huées et des sifflements. C'est de bonne guerre. Mais bien des fois, on peut déplorer qu'agressions verbales ou physiques et attaques délibérées soient la rançon de la victoire pour toute équipe qui s'applique à son jeu.

N'allez surtout pas croire que dans nos marchés ou dans nos magasins, ce qui est déploré ailleurs ne subsiste pas. Si le client est roi, cette maxime ne se vérifie certes pas chez nous où ce sont plutôt les vendeuses qui sont les reines. Il ne fait pas bon de se livrer à un quelconque marchandage autour de leur étal. Ces dames à la corpulence respectable et à la mine peu enjouée « rassasiées avant que l'akassa ne vienne au marché » (selon une expression locale), vous reçoivent de façon dédaigneuse, si ce n'est pas une véritable attaque verbale qui accueille toutes vos propositions de prix. C'est à croire qu'elles ne sont venues au marché que pour les riches. Le pauvre ou l'acheteur aux revenus moyens, n'aura qu'à ranger son porte-monnaie, rengainant du coup sa colère et son envie d'obtenir l'objet désiré de tous ses vœux.

Les nombreuses entorses au fonctionnement des bonnes manières ne s'arrêtent pas à tout ce que je viens de dire : le cas des panneaux d'affichage ou ceux indiquant les routes ou portant une publicité est révélateur de l'incivisme ambiant. Quand il arrive que les mauvaises herbes les envahissent par endroits et les cachent à la vue des populations, il n'y a personne pour faire le ménage autour et leur rendre leur lustre perdu. D'autres fois, surtout lors des élections nationales, ces panneaux deviennent des cibles rêvées des colleurs d'affiches. Inconscients et insouciants, ces vandales détériorent ces précieux panneaux et les détournent de leur raison d'être. Les plus hardis les arrachent tout simplement pour les revendre au forgeron du coin. C'est parfois son indispensable matière première pour fabriquer toutes ces houes, haches, dabas qui peuplent les étals de nos marchés. Si l'on peut se féliciter que le commerce s'en trouve renforcé, l'environnement lui s'en trouve lésé.

Le vandalisme que subissent les installations d'intérêt public ne s'arrête pas au vol des panneaux. Le vol des câbles de téléphone est un véritable fléau que déplorent aujourd'hui et usagers et fournisseurs du réseau téléphonique. Plus aucune localité de notre pays n'échappe à ce danger public. Le cuivre incurvé à l'intérieur de ces câbles est, semble-t-il, précieux pour les fabricants de bagues, d'anneaux, de colliers. Les porteurs de ces parures devraient peut-être se battre la coulpe de se savoir complices involontaires de ces voleurs sans scrupules. Mais qui vraiment se torture la conscience pour si peu ?

Dans d'autres cas, les conséquences de ces actes anticiviques sont incalculables. Sait-on par exemple que, sur des axes routiers, certaines personnes s'adonnent nuitamment à la sale besogne d'élargir de façon volontaire les nids de poule dans le but de faire chuter les gros porteurs ? Les marchandises qu'ils contiennent sont alors pillés à qui mieux mieux. Lorsqu'à la place des marchandises, ce sont les réservoirs des camions-citernes que les riverains siphonnent et que des inévitables imprudences occasionnent des explosions gigantesques, les drames qui s'ensuivent laissent sans voix.

Parfois cupidité et incons-cience s'associent pour donner la mort. Le cas est tragi-comique : il n'y a pas longtemps, les agents du ministère de la santé publique avaient trouvé un moyen habile de faire à la fois vacciner les enfants en bas âge contre certaines affections et offrir des moustiquaires imprégnées pour une lutte efficiente contre le paludisme. Chaque femme était invitée à recevoir une moustiquaire contre la vaccination de son enfant. Une malheureuse dame se rendit à la séance de vaccination non pas une seule fois, mais à plusieurs reprises en changeant de lieu à chaque fois et obtint plusieurs moustiquaires de ce manège de tricheuse. Mais cette tricherie ne fut pas sans conséquence. Elle conduit l'enfant à l'hôpital pour overdose médicamenteuse. L'overdose conduisit la gamine à la mort. La mère n'avait alors que ses yeux pour pleurer !

La propreté dans nos villes devient désormais un défi trop immense pour être relevé. La femme qui, de sa maison, jette sans sourciller une grande bassine d'eau remplie de déchets et d'arêtes de poissons ne sait pas qu'elle a manqué d'éclabousser le pauvre passant qui a le malheur d'emprunter ce chemin au même instant. Elle a aussi contribué à crever le pneu de l'automobiliste dont la roue fragile n'a pu résister à la charge de l'arête de poisson. Que dire des nuisances sonores que causent les festivités du week-end, les muezzins des aurores, les hurlements de pseudo-prédicateurs, les bruits agaçants des cordonniers ambulants, la publicité des voitures commerciales, les cris de la vendeuse du pain ou du haricot, le grincement des moulins à maïs et autres machines bruyantes. Qu'on se le dise : il ne fait pas bon d'être fatigué dans nos villes. Le repos est tout simplement interdit.

Personne ne s'en offusque. Personne ne dénonce la perfide manœuvre. Surtout pas les autorités locales qui ont pourtant mandat de veiller sur le repos de leurs citoyens. Ne devrait-on prendre leur cas en considération qu'à l'approche des élections ?

On ne finirait décidément pas d'énumérer les nombreux faits et gestes qui contreviennent au code universel du savoir-vivre. Il est pourtant nécessaire d'y faire attention pour hisser nos pays africains au rang des nations développées où la richesse matérielle va de pair avec une certaine orthodoxie civique. Le développement de notre continent passe aussi par ce chemin escarpé mais salutaire.

 

Abbé Nicolas Hazoumè

Recteur du séminaire Saint Paul de Djimè

 

Tag(s) : #Politique Béninoise
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :