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Faut-il supprimer le Certificat d’Etudes Primaires ?  
     
 
Michel - Robert Gomez
Le Certificat d’Etudes Primaires (CEP), encore dénommé Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires (CEPE) ou, en d’autres temps, Certificat de Fin d’Etudes Primaires (CEFEP) ou populairement le certif, est un diplôme aussi vieux que l’école républicaine française. Premier examen de la scolarité, le CEP couronnait la fin des études primaires pour les enfants n’entrant pas dans le secondaire. Se présentaient à cet examen, les élèves des classes de fin d’études âgés de 12 à 14 ans. Ceux qui n’avaient pas encore 12 ans devaient obtenir au préalable une dispense d’âge d’une année de l’inspecteur d’académie. Depuis que la scolarité est prolongée jusqu’à 16 ans et que tous les écoliers entraient au collège en 6ème, le CEP est tombé en désuétude et supprimé en France en 1989. Il existait un CEP pour adultes.
 
     
 
Date de publication : 14-05-2008
Auteur(s) / source :
 
     
 

   Selon une anecdote piquante, un adjudant chargé de l’inscription des nouvelles recrues dans l’armée française, dans les années 1900( ?), demandait à un jeune citoyen : – Quel diplôme avez-vous obtenu? –L’agrégation, répondit le jeune savant. – Quoi ? – J’ai dit l’agrégation – Pas le CEP ? – Non. – Donc ignorant, conclut l’adjudant Et de l’inscrire sur la liste des ignorants. Pour un peuple qui sortait de l’ignorance, le CEP représentait encore un label incomparable, une élévation intellectuelle et culturelle très significative. Au Bénin et dans les territoires coloniaux, le CEP a suivi la création de l’école publique ; le premier CEP eut lieu probablement vers 1910. J’ai vu mes aînés, élèves finissants à l’Ecole régionale ou à l’Ecole Catholique Notre Dame de Miséricorde de Cotonou passer cet examen au cours supérieur dans les années 1940-1945; ils me paraissaient grands comme des baobabs ! Depuis la fin de la seconde guerre mondiale on passe le CEP normalement à la fin du Cours moyen 2ème année. D’abord différent de l’examen d’entrée en 6ème, il eut parfois deux fonctions : marquer la fin des études primaires et constituer l’ouverture vers l’enseignement secondaire. Le CEP a subi une modification majeure en juin 1976, sous le nom de Contrôle des Etudes de Fin de l’Enseignement de base (CEFEB), remplaçant le CEP et l’Examen d’entrée en sixième. Son contenu et singulièrement les conditions de candidature ont varié. «Tout candidat à l’enseignement moyen doit être âgé de 10 ans au moins et de 14 ans au plus pour les garçons, 15 au plus pour les filles, au 31 décembre de l’année du contrôle. Aucune limite d’âge supérieure n’est fixée pour les autres candidats au CEFEB (vie active). Toutefois, des dispenses d’âge pourraient être accordées par le ministre sur présentation d’un acte de naissance (non du jugement supplétif). » Mais alors à quoi sert-il aujourd’hui? Si le CEP continue de représenter auprès de notre peuple – analphabète à 65%–, un parchemin formellement désiré, son prestige est de plus en plus bas. Tout d’abord, il ne sert plus au recrutement d’agents permanents de l’Etat. Les offres d’emploi n’exigent déjà plus le BEPC mais plutôt le Bac plus 2 années de formation pour recruter, par exemple, un simple magasinier ou une dactylographe. Il n’y a que dans l’enseignement où l’on se contente encore de recruter des personnels sans qualification ou des brevetés, alors qu’en raison de la délicatesse de la mission dévolue à l’éducation, – il s’agit de former des humains, des esprits – l’exigence d’un niveau élevé de formation et de qualification devrait être de règle. En outre, plus de 75% des élèves de CM2 sont âgés de 9, 10, 11 ans, ce qui est normal, puisqu’ils sont désormais inscrits officiellement en cours d’initiation à partir de 4 ans et 6 mois. La question de la dispense d’âge n’est posée spécifiquement que pour l’examen d’entrée en classe de sixième des lycées et collèges d’enseignement général… « Tout candidat doit être âgé de 14 ans au plus pour les garçons et de 15 ans au plus pour les filles… Toutefois des dispenses d’âge d’un an au plus sont accordées…Aucune limite d’âge supérieure n’est fixée pour les autres candidats à l’examen du CEP (Article 5 de l’arrête 2008/011/ MEMP.) En d’autres temps ce sont les candidats jeunes qui obtenaient une dispense pour le CEP : l’examen se passerait en pleine illégalité pour les candidats jeunes…Ils sont de plus en plus nombreux ! Enfin, il est manifeste que les épreuves, telles que celles proposées cette année(2006-2007) ne sont pas faites pour les jeunots de 9 à 11 ans, en qui la pensée hypothético- déductive n’est pas encore développée, dont le niveau de performance est honteusement bas en grammaire, orthographe et en simple calcul, et qui ne sont pas entraînés à apprendre les leçons. Voici à titre de preuves quelques thèmes et concepts que véhiculent les épreuves de juin 2007, ainsi que les termes dans lesquels elles ont été formulées. Expression écrite : économie nationale, commerce frauduleux, incivisme/ essence frelatée, activité lucrative, les autorités, un cas, une scène dramatique, mettre en danger… Lecture : scolarisation des filles, conflit des cultures, évolution,/ raisonner sur, l’opinion, l’avis, manifester (sa colère), (finir par) céder. Mathématique : scolarisation des filles, gratuité scolaire, compétition, assistance extérieure/ bailleurs de fonds, valeur globale, supporter une charge Education sociale : géopolitique, économie nationale, sous-développement, redressement économique/ plans d’eau, influence négative, plan moral, vols à mains armées, braquages, contrefaçons, des trafics/ analyser des faits, proposer des solutions, allègement des dettes, produits pétroliers, commerce frauduleux, des faits de société. Education scientifique et technologique : télévision (dans combien de foyers béninois y-a-t- il un poste de télévision et de l’énergie électrique ?), délestage, indigestion, substances, montage, organisme. Etc.

    Les libellés de ces épreuves appellent deux observations :

   a) les questions relatives à la politique économique, aux relations internationales, à la politique éducative, à la sécurité, etc., ne sont pas – ne doivent pas être – des préoccupations pour les enfants de 9 à 11 ans, parce qu’elles ne sont pas des jeux d’enfants. Donnons leur le temps de grandir et de mûrir, hors de nos soucis d’adultes, qui ne sont guère épanouissants. Nous risquons de faire d’eux de petits vieux précoces. La pratique des enfants au travail vendant, cuisinant réparant, trop tôt, n’est pas un exemple que l’Ecole doive suivre. D’autre part, ces questions dites d’actualité ne figurent pas aux programmes ; elles sont cueillies par-ci par là au gré des émissions radiophoniques ou télévisuelles, dans les conversations, dans les rues. Peut-être l’enseignant intervient-il occasionnellement au cours d’un exercice ou d’une activité d’apprentissage pour rectifier des idées fausses ou des attitudes dangereuses, informer davantage, combattre les influences négatives que la rue, la rumeur, l’opinion vulgaire et même parfois la tradition introduisent subrepticement dans l’éducation des êtres innocents et fragiles que sont les enfants. A la vérité, le caractère abstrait des termes et des idées utilisés dans ce qu’on appelle la situation de départ, n’empêche pas toujours le candidat de répondre aux items de mathématique par exemple ; disons que l’élève intelligent ne s’en préoccupe guère. Mais dans l’épreuve d’éducation sociale et d’expression écrite, le candidat peut être gêné s’il n’a pas une bonne compréhension du contexte et n’en tient pas compte.

   b) En général, le traitement des sujets nécessite que les candidats soient capables d’analyser des données et de procéder à des synthèses, qu’ils soient en état d’émettre des hypothèses et d’en tirer des conclusions : toutes sortes de rapports de pensée dont l’enfant actuel du CM2 n’est pas capable, parce qu’il n’en a pas la maturité psychologique et sociale ; la maîtrise insuffisante de la langue de travail constituant par ailleurs un obstacle sérieux à la compréhension des textes des sujets et à la formulation correcte et juste de la pensée. Voilà un état de fait déplorable que compliquera davantage l’application du nouvel arrêté 2008/011/ MEMP organisant le CEP. Il serait intéressant de mener une enquête sur les âges des candidats qui sont reçus au CEP de 2007 et sur les comportements des correcteurs. Cet examen n’est pas fait pour les élèves de l’école primaire en CM2. D’autant plus que, conformément à l’article 24 de la Loi d’orientation de l’éducation nationale, ils sont accueillis à quatre ans et demi au moins – en réalité certains y vont avant d’avoir quatre ans ; en outre, ils ont tout le loisir de conquérir l’éducation de base que constituent tout l’enseignement primaire et le premier cycle de l’enseignement secondaire (article 11 de la Loi d’orientation de l’éducation nationale). Logiquement le fonctionnement du système éducatif actuel devrait être caractérisé par l’exclusion zéro et le redoublement rare. La plupart des élèves normaux – 95% – devraient passer directement du CM2 en sixième sans examen ou, le cas échéant, à la suite d’un test réduit à quelques matières (Français, Mathématique, matière à option). Ce que font déjà les établissements privés sérieux, que les candidats soient en possession ou non du CEP.

   Alors faut-il supprimer le CEP ?

   A notre avis, la démonstration qui vient d’être faite prouve à suffisance l’état de désuétude dans lequel est désormais tombé le CEP béninois. Il faut mettre fin à cet examen ; le plus tôt sera le mieux. Cependant, étant donné que toute innovation précipitée risque d’être préjudiciable à la vie sociale, comme les habitudes prises résistent à être déracinées et que les Béninois ont pris un certain goût à apprécier l’obtention de diplômes, il faut se donner le temps nécessaire (3- 5 ans ) pour informer les populations, pour préparer psychologiquement les familles à accepter le fait et pour mettre en place les mesures de régulation nécessaires avant que la décision ne soit prise. Le CEP aurait alors régné 100 ans. Cette décision permettra d’économiser les millions de francs cfa annuellement engloutis dans l’organisation d’un contrôle qui ne sert finalement à rien ; elle fournira aux enseignants et aux élèves l’occasion d’orienter leurs efforts vers d’autres préoccupations de véritable culture, en faisant une meilleure utilisation du temps scolaire. On pourra, en conséquence, remplacer le CEP par un véritable CEFEB (Certificat ou Contrôle de fin d’éducation de base) – en français ou en langues nationales – que passeront logiquement les élèves qui ne seraient pas autorisés, après la classe de troisième, à continuer leurs études ou pour des adultes qui en auraient besoin.

 

   Michel-Robert GOMEZ

 

    Inspecteur d’enseignement à la retraite



Tag(s) : #Politique Béninoise
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