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07 juin 2008

Lettre à Pancrace sur la Mort Légale de l’OPM, et le Curieux Jonglage du Médiateur Putatif.

Mon cher Pancrace,Writting[1] 

 

Dans ta dernière lettre, tu montres l’intérêt que tu as toujours manifesté à la légalité des actes de nos gouvernants. Dans cet esprit, tu me demandes s’il ne serait pas pertinent de jeter les bases d’une étude des saisines de la Cour Constitutionnelle, de façon à mesurer l’évolution relative du nombre et de l’objet des saisines, ainsi que des décisions de la cour en fonction de sa composition et du régime qui est au pouvoir. Dans le principe, il s’agit d’une étude comparative, année par année, régime par régime, depuis le début de l’ère du Renouveau démocratique. Je crois que c’est une bonne idée qui mérite d’être étudiée à sa juste valeur. Cet outil peut s’avérer particulièrement indispensable pour apprécier la dérive d’émana-tion qui guette le renouvellement des membres de la cour...

 

Dans cet ordre d'idées, j’ai pris contact avec le Docteur A. qui, comme tu le sais,  s’y connaît en matière de droit politique, puisque c’est son métier. Le Docteur A. a fait état de l’existence d’un cédérom des saisines et décisions de la Cour constitution-nelle depuis 1991. Le document est édité avec l'aide de l'OIF. J'ai écrit au service concerné de la Cour ; mais comme c'est toujours le cas chez nous je n'ai aucun espoir de réponse, dans la mesure où nos services et ceux qui les dirigent n'ont pas un sens aigü de l’efficacité de leur fonctionnement, et n'existent que pour les avantages – salaire, prestige – qui y sont associés. A coup sûr, il me faudra un de ces jours prendre le taureau par les cornes si, comme je le souhaite, je tiens à aller au bout de cette idée dont je te sais gré de la suggestion et dont l’opportunité coule de source.

 

L’autre question que tu me poses, mon cher Pancrace concerne aussi la légalité des actes de nos gouvernants puisqu’elle touche à un fait d’actualité en la matière, à savoir la décision de la Cour Constitutionnelle au sujet de la légalité de l’existence de l’OPM, l’organe Présidentiel de Médiation. Oui, dans sa décision DCC 08-066 du 26 mai 2008, la Cour Constitutionnelle, « sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens », a décidé que le décret n°2006-417 du 25 août 2006 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de l’Organe présidentiel de médiation est contraire à la Constitution. Alors aussitôt, Monsieur Tévoédjrè, le Médiateur putatif, est monté au créneau pour défendre le bien fondé de sa baraque. Sa réaction visait à relativiser les dégâts légaux occasionnés par la décision de la Cour. Sa tactique a consisté à dire que l’étoile de la décision dont la lumière nous parvient et met en joie les coeurs des amis de la légalité, est une étoile morte depuis belle lurette. Que légalement son organe avait fait peau neuve à travers la substitution d’un nouveau décret à celui sur la base duquel la Cour Constitutionnelle venait de statuer. Cette démarche de substitution, suivie d’un projet visant à étayer l’institution de l’OPM par une loi, est en soi un aveu d’illégalité.

 

Elle prouve que l’exécutif a fini par comprendre l’insuffisance du décret controversé, et le caractère fondamentalement vicieux du recours à un décret là où seule une loi est requise. A ce sujet, tu me poses tout une série de questions qui sont plus pertinentes les unes que les autres. Tu me dis : « Le nouveau décret, le soi-disant " DECRET N° 2008-158 du 28 mars 2008 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de l’Organe Présidentiel de Médiation", qu'est-ce qui prouve que ce n'est pas un décret bidon élaboré pour contrer médiatiquement la décision de la Cour Constitutionnelle ? Qu'est-ce qui prouve qu'il date bien du 28 mars 2008 et non pas tout simplement improvisé à des fins rhétoriques ? A-t-il seulement été publié au Journal officiel ? Faut-il confondre ce texte manipulé et tronqué d’une publication à l’autre qui circule dans la presse nourrie à dessein pour étayer les arguties d'un homme pris la main dans le sac de la violation des lois de la République, ou faut il demander à voir la trace effective dudit décret ? »

 

Toutes ces questions ne manquent pas de pertinence, mais en même temps, permets-moi, cher ami de te dire qu’elles ne sont pas décisives dans le débat ouvert par la décision de la Cour. Car la Cour a statué sur le fond, et quelle que soit la réalité du nouveau décret brandi par Monsieur Tévoédjrè, il reste que sur le fond les questions soulevées par la Cour demeurent, à savoir qu’au vu des attributions de l’OPM, seule une loi peut en étayer la création et rendre raison de son existence. A ce propos, ce que souligne la loi dans le principe et le contenu des deux décrets tient en deux points qui sont d’une clarté lapidaire :

 

1/ Le recours à un décret viole les articles 114 et 117 de la Constitution selon lesquels: «La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle... Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. » ,.« La Cour Constitutionnelle Statue obligatoirement sur: ... les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat... »  

 

2/ La création d’une nouvelle administration, en l’occurrence une structure administrative autonome, relève de la compétence exclusive du législateur ; il est illégal, comme l’édictent des articles des deux décrets, que : 1. l’organe Présidentiel de médiation dispose d’un budget alimenté par le budget national et par tous autres apports extérieurs ; 2. jouisse d’une autonomie de gestion ; 3. bien que déclaré «placé sous l’autorité directe du Chef de l’Etat», soit dans son organisation, son fonctionnement et ses attributions, une administration autonome.

Pour ne rien te cacher, cher ami, il n’y a pas d’autre mot pour désigner ce décret-bis que le mot « Décret de Secours ». Et cela correspond bien à la situation embarrassée dans laquelle s’est placé l’exécutif au regard de la loi. Dans le vocabulaire des catastrophes et accident, le mot secours a une place de choix. Bien sûr il y a le secours que l’on porte en situation aux victimes lors de la survenue d’un accident plus ou moins grave. Mais d’une manière formelle et loin du théâtre des accidents, dans le monde hautement industrialisé où nous côtoyons le danger au quotidien, la notion de secours est un paramètre intégré à la vie de tous les jours, et y a sa place. Cette place qui est d’une importance capitale, fait l’objet d’une reconnaissance légale. Ainsi dans le domaine des transports, (bus, train, bateau, avion, etc.) de l’industrie, ou de la construction de toute infrastructure à usage public, pont, monument, place, édifice, ou salle de réunion ou de spectacle, l’indication « Sortie de Secours » est depuis bien longtemps une indication légale obligatoire, à l’affichage ostensible de laquelle sont tenus constructeurs, gestionnaires et responsables de ces lieux. Mais en ce qui concerne l’OPM, il s’agit d’une Décret de secours qui, contrairement aux sorties de secours classiques n’a jusqu’ici jamais fait l’objet d’un affichage. Au contraire son existence, s’il était avérée, a été tenue secrète !

 

Dès lors, la montée au créneau de Monsieur Tévoédjrè s’apparente à un tour de passe-passe. Les médias ont toujours fait passer l’homme pour un renard, mais un renard ne se serait pas abaissé à un tour de passe-passe aussi stupides. Il s’agit bel et bien du geste pathétique d’un illusionniste acculé par la réalité. Un homme qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre les chants du cygne d’une institution qu’il a manipulé le chef de l’Etat à lui confectionner sur mesure et pour sa statue du Commandeur. Création fantaisiste qui s’avère une de ces manières autoritaires de se rapporter à la loi incompatibles avec une vie démocratique saine.

 

Enfin, ta dernière salve de questions met le doigt sur l’affolement du Médiateur illusionniste. Tu demandes : Pourquoi Monsieur Albert Tévoédjrè intervient-il alors que la décision de la Cour Constitutionnelle s’adresse avant tout à l’Exécutif ? Pourquoi monte-t-il au créneau, s’il ne veut pas trahir le fait qu’il est un Médiateur putatif ? Et pourquoi dans le même temps, sur le sujet, le Président reste-t-il muet comme une carpe ? Oui, mon cher Pancrace, il n’y a pas à dire, l’affolement est à son comble chez le médiateur. Et cet affolement trahit bien l’aveu d’une usurpation de rôle et la confusion des genres qui règne au plus haut sommet de l’Etat, travers et dérive que sanctionne en l’occurrence la décision de la Cour Constitutionnelle.

 

A mon avis, en dépit des pantomimes de Monsieur Albert Tévoédjrè, et des tours de passe-passe qu’il déploie, il va sans dire que l’Organe Présidentiel de Médiation, dans sa version actuelle en tout cas, est frappé d’un arrêt létal. Le bon sens démocratique recommanderait de prendre acte de cette mort légale. De ce point de vue, les déclarations du sieur Tévoédjrè sont dérisoires et sans valeur légale. Il appartient au chef de l’Etat lui-même de se prononcer et d’agir conformément à la loi pour faire en sorte qu’un autre Organe soit créé. Car, à condition d’en recadrer les attributions et les moyens, à conditions de l’étayer par une loi, l’OPM, comme son existence dans d’autres pays d’Afrique nous le montre, est un organe qui a son utilité et mérite d’être encouragé. Au chef de l’Etat de reprendre sa copie en toute sérénité eu égard à la décision de la Cour.

 

 Alors et alors seulement pourrions-nous dire: «l’OPM est mort, Vive l’OPM !»

 

Mais dores et déjà, mon cher Pancrace, je peux dire que le slogan « L’amitié est bien, Vive l’amitié ! » ne souffre de ma part d’aucune réserve et j’ose l’espérer ni de la tienne.

 

Et, dans l’espoir que mes réponses parfois élusives n’ont pas fait qu’effleurer la substantifique moelle de tes préoccupations, je te prie d'accepter mes remerciements les plus sincères pour l'infinie confiance que tu places en mon aptitude à les partager. 

 

Amicalement,

 

Binason Avèkes

Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Tag(s) : #Politique Béninoise
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