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Les avantages catégoriels doivent reposer sur des critères "objectifs"
 
 
LE MONDE | 01.01.10 
 
 
ne bombe atomique", "un tsunami social"... Les avocats d'entreprise ont bien du mal à digérer l'arrêt du 1er juillet 2009 de la Cour de cassation, qui appelle à respecter le principe de l'égalité de traitement entre salariés. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'elle affirme que tout avantage accordé à une catégorie de personnels, par exemple les cadres, doit reposer sur des "raisons objectives". Alors pourquoi cette tempête ?
 
D'abord passé quasiment inaperçu, à la veille des congés d'été, cet arrêt a été peu à peu analysé par les juristes, le patronat et les syndicats. Tous ont alors découvert sa portée. Immense.
 
Dans cette affaire, un démarcheur-livreur de la société DHL Express a saisi la justice de diverses demandes, dont un rappel d'indemnité compensatrice de congés payés. Non-cadre, il ne bénéficie que de 25 jours de congé par an, contre 30 pour les cadres, conformément à un accord d'entreprise de 1988. Pour justifier cet écart, l'employeur avait évoqué notamment "l'importance des responsabilités" confiées aux cadres.
 
Argument qui n'a pas convaincu la haute juridiction. "Vu le principe d'égalité de traitement (...), la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés (...) ", cette différence devant "reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence", indique cet arrêt.
 
La Cour de cassation avait déjà statué ainsi concernant des avantages instaurés unilatéralement par des employeurs. Avec cette nouvelle jurisprudence, elle va plus loin, appliquant son raisonnement à un accord d'entreprise.
 
Mais la "vraie bombe", estime Sylvain Niel, directeur associé du cabinet d'avocats Fidal, c'est que "cet arrêt a vocation à s'appliquer aussi aux conventions collectives de branche. Or, toutes contiennent des dispositions catégorielles favorables aux cadres, et la plupart du temps, on est incapable de les justifier objectivement".
 
 Indemnités de licenciement, mutuelle, capital-décès, etc. : ces avantages concernent la plupart des 700 conventions collectives.
 
La cour d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 4 novembre 2009, illustre d'ailleurs l'application de l'arrêt du 1er juillet 2009 aux textes conventionnels. Une salariée non cadre d'une cave coopérative agricole, licenciée économique, réclamait une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement alignée sur celles des cadres, plus généreuses (notamment un préavis de trois mois, contre deux mois pour les non-cadres). Cette différence de traitement est prévue par la convention collective des caves agricoles, mais "aucune raison objective et pertinente" ne la justifie, a estimé le juge, qui a donné raison à la salariée.
 
La boîte de Pandore est donc ouverte. "Les non-cadres, vous pouvez prétendre aux mêmes droits que les cadres !", proclame l'avocat Eric Rochelave sur son site Internet. "On risque de voir se multiplier les contentieux individuels sur ce sujet, prévient M. Niel. Et s'il faut aligner vers le haut tous ces avantages, cela aura un coût faramineux pour les entreprises !" Pour l'éviter, estime l'avocat, "les fédérations patronales pourraient dénoncer les conventions collectives". Puis ensuite les renégocier, mais en alignant les avantages... vers le bas. A condition de trouver des syndicats pour les signer. Vaste chantier.
 
Toutefois, l'inquiétude est loin d'être générale. Côté syndical, la CFE-CGC estime que "cette jurisprudence permet de secouer le corpus des textes négociés. Nous sommes en train de lister les conventions collectives où des avantages catégoriels n'ont pas de justification".
Selon le syndicat des cadres, la Cour de cassation "envoie un message très sérieux : on ne peut pas négocier des avantages n'importe comment". Mais, ajoute la centrale, "la Cour de cassation doit aussi comprendre qu'un accord n'est pas une somme d'avantages. Il résulte d'un compromis" et doit donc être apprécié dans son ensemble.
Côté patronal aussi, certains sont sereins. "Je ne pense pas que notre convention trouve matière à révision, estime Laurent Duc, président de la Fédération nationale de l'hôtellerie. Par exemple, les non-cadres travaillent 225 jours par an, les cadres 217, mais c'est une contrepartie à leur régime de forfait-jour."
Mais l'autre point qui déchaîne les passions, c'est l'intervention du juge dans des textes négociés. "Tous les accords, estime Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, sont le fruit d'un "donnant, donnant" entre syndicat et patronat, et il n'appartient pas au juge de s'en mêler. Une convention collective signée par les partenaires sociaux est présumée légitime, encore plus depuis la loi sur la représentativité syndicale du 20 août 2008. Mais trop de magistrats ne le comprennent pas."

Francine Aizicovici
Article paru dans l'édition du 02.01.10





Tag(s) : #Veille juridique
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