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Politique nationale : La leçon d’histoire de Bruno Amoussou

 

LE PROGRES 19 février 2009


 

Quel avenir pour le combat politique ? C’est le thème de la communication présenté le samedi 07 février dernier, au nouveau siège du Parti Social Démocrate du Bénin par Bruno Amoussou le président de cette formation politique. 19 ans après le début de la conférence des force vives de la nation qui a conduit à l’instauration d’un régime démocratique, il retrace l’histoire des luttes politiques au Bénin. Du Parti Dahoméen de l’Unité (P.D.U) à l’Union Démocratique Dahoméenne (U.D.D), au Parti Démocratique Dahoméen (P.D.D) au Parti de la Révolution Populaire du Bénin (P.R.P.B) puis à la démocratie avec ses multiples formations politique, il renseigne sur les combats et ceux qui les ont conduit.

Je vous suis reconnaissant de m’avoir invité à vous présenter le thème central de cette séance inaugurale du cycle de formation des cadres du Parti. Son énoncé est en lui-même l’expression d’une interrogation voire d’une inquiétude. Que des militants de partis politiques veuillent échanger leurs points de vue sur le devenir du combat politique, une activité à laquelle ils se livrent quotidiennement, signifie à tout le moins qu’ils ne lui prédisent pas un avenir serein. Les conditions dans lesquelles cet énoncé a été formulé m’ont amené à vous écouter à plusieurs reprises afin de mieux répondre à vos attentes. Malgré cette précaution, je ne suis pas certain d’y parvenir. Aussi voudrais-je vous inviter à considérer mes propos comme une introduction au débat auquel je suis disposé à prendre une part active. L’interrogation n’est pas nouvelle. Elle surgit chaque fois que le contexte politique incline à la suppression des libertés et à un embrigadement des populations dans des organisations gouvernementales. Pour m’en tenir aux récentes tentatives, ce fut le cas en 1974, lorsque le Gouvernement militaire révolutionnaire prononça la dissolution des organisations de jeunes et des syndicats de travailleurs. Profitant des contradictions internes de ces organisations, le nouveau Pouvoir entendait s’ouvrir la voie à l’embrigadement programmé des jeunes au sein des structures du futur Parti de la Révolution Populaire du Bénin. Comme toujours, cette initiative suscita deux réactions contradictoires. Certains y ont trouvé des raisons pour abandonner le combat politique. Ils estimaient que le Pouvoir en place disposait de si puissants moyens de coercition qu’il paraissait téméraire voire déraisonnable de vouloir lutter contre ses choix politiques. En revanche d’autres trouvèrent, dans ce nouvel obstacle dressé devant eux, une motivation supplémentaire pour relever un défi majeur. Stimulés par la perspective de la répression agitée par le gouvernement, ils se mirent à imaginer de nouveaux moyens et méthodes de lutte dans une clandestinité imposée.

 

La tentation du parti unique

 

C’est une tentation permanente dans les pays africains, et le nôtre n’y échappe point, de mettre fin au pluralisme politique. Au début des années 60, lendemain des indépendances, la diversité politique était rendu responsable des difficultés sociales et des soubresauts politiques enregistrés dans les pays africains. D’une manière générale, l’identification des partis politiques à des communautés ethniques étaient présentée comme des entraves infranchissables au processus de développement. Les théoriciens d’un parti unique en tiraient argument pour prôner la suppression des libertés d’association et justifier les mesures répressives prises à l’encontre des partisans d’un débat ouvert. Le prestige des pays socialistes de l’Europe de l’est, d’Asie et de Cuba crédibilisait le système recommandé. La fierté et le chauvinisme étroit des élites des nouveaux Etats issus du processus de la décolonisation faisaient le reste. Dans notre pays, ces idées s’étaient traduites par la création du Parti Dahoméen de l’Unité (P.D.U). Tous les citoyens devaient adhérer à cette formation politique et les partis politiques existants furent sommés de le rejoindre. Au lieu d’engager un processus démocratique de rassemblement par la négociation avec les responsables, le Président Maga entreprit de débaucher des dirigeants locaux de l’Union Démocratique Dahoméenne (U.D.D) à l’aide de nominations à des postes administratifs ou de promesses de promotion de toute nature. Des communiqués gouvernementaux annonçaient chaque jour des ralliements de militants de l’U.D.D. Pour avoir refusé d’adhérer à cette mascarade, la direction de ce Parti dut faire face à une féroce répression. Le Secrétaire d’Etat à l’information, Albert Tévoédjrè, fut l’acteur principal de la campagne médiatique contre les adversaires du régime et l’artisan des mesures prises à leur encontre. Il dénonçait, dans des éditoriaux hebdomadaires qui marquaient les esprits, un « complot » imaginaire dont les instigateurs seraient les dirigeants de l’U.D.D. Par ses chroniques, il justifiait l’arrestation du leader de ce parti, Justin Ahomadégbé en mai 1961. Une parodie de justice condamna celui-ci à cinq ans de réclusion criminelle. Il ne purgea pas la totalité de cette peine et fut libéré en novembre 1962, le jour de la fête de Saint Hubert, le Saint patron du Président Hubert Maga. Albert Tévoédjrè avait déjà quitté, cinq mois plus tôt, le gouvernement pour rejoindre son nouveau poste de Secrétaire Général de l’Union Africaine et Malgache. Malheureusement à son tour, l’ancien prisonnier n’hésita pas à s’engager dans la même entreprise dès que des mouvements populaires l’amenèrent au pouvoir en octobre 1963. Pour ce faire, il constitua hâtivement le Parti Démocratique Dahoméen (P.D.D), puis organisa des élections législatives sur la base d’une liste unique couvrant tout le pays érigé en une circonscription électorale unique. Exclus de tous les compartiments du pouvoir et jeter à leur tour en prison, Maga et ses partisans ne recouvriront la liberté que peu avant le coup d’Etat perpétré en décembre 1965 par le Général Christophe Soglo. Des luttes au sein du nouveau parti unique P.D.D avaient favorisé l’intervention des militaires qui assumeront par la suite l’effectivité du pouvoir, sous des formes diverses, pendant vingt cinq ans. Ils le déléguaient parfois à des civils pour de courtes périodes comme ce fut le cas en faveur du Docteur Emile Derlin Zinsou en 1968 ou au profit des leaders politiques rassemblés au sein d’un Conseil présidentiel en 1970. L’imposition, à partir de 1975, du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (P.R.P.B) comme seul cadre de l’activité politique ne fut donc pas la première expérience du genre. Quand bien même elle se réclamait de l’idéologie marxiste-léniniste, il faudrait se garder de la présenter comme une nouveauté dans l’histoire politique de notre pays. Plus déterminés que leurs prédécesseurs et s’appuyant sur le bras armé des militaires, les promoteurs du P.R.P.B. procédèrent à la dissolution des partis politiques et des organisations de jeunes, comme je l’ai dit tout à l’heure. Par des manœuvres grossières, des menaces et la contrainte, ils parvinrent à l’existence légale d’une centrale syndicale unique, l’Union Nationale des Syndicats des Travailleurs du Dahomey (U.N.S.T.D) dont le Secrétaire général, Romain Villon Guézo, était intégré à la direction du parti unique. Ce Parti confisque l’espace des activités politiques qu’il envahit à travers ses initiatives propres et celles de ses organisations de jeunes, de femmes et de travailleurs. Les autres forces sociales se virent, une fois encore, contraintes à poursuivre leurs actions dans la clandestinité. Le Parti Communiste du Dahomey (P.C.D) fut la plus structurée et la plus déterminée des forces de résistance. Armés des techniques de luttes souterraines et opérant suivant des méthodes éprouvées par les mouvements révolutionnaires, ses membres livrèrent des combats qui ébranlèrent les bases du Pouvoir. La Conférence des forces vives de la Nation tenue en 1990 fut le couronnement de leurs luttes et de celles d’organisations de la société civile. Je fais l’impasse sur la période du Renouveau démocratique parce que vous la connaissez bien et vivez encore ses péripéties. Cela ma permet de ne pas allonger mes propos et mes éléments d’analyse. Peut-être devrais-je remonter à la création, en avril 1947, de l’Union Progressiste Dahoméenne (U.P.D), le premier parti politique d’envergure national dans notre pays, pour évoquer l’ancienneté de nos maux. Ce Parti n’a pas survécu aux difficultés d’établissement des listes de candidats aux élections législatives de 1951. Les démissions par vagues successives aboutirent en particulier à la création du Bloc Populaire Africain (B.P.A), du Groupement Ethnique du Nord (G.E.N), du Parti Républicain du Dahomey (P.R.D.), de l’Union Démocratique Dahoméenne (U.D.D.). Peu à peu ces trois dernières formations politiques se muèrent en partis dominants régionaux, l’Union Démocratique Dahoméenne affichant toutefois la meilleure couverture nationale.

 

La lutte pour les libertés

 

Mais de jeunes intellectuels de gauche, de plus en plus nombreux à regagner le pays, contestèrent la politique néo coloniale et la suprématie de ces partis politiques soumis aux injonctions de l’ancienne puissance coloniale, la France. Dans leur stratégie, ils établissent des liens très étroits avec les exclus et les victimes du nouveau système politique. Immergés dans les populations paysannes, ils les aidèrent à créer des organisations de jeunes et des syndicats de producteurs de coton et de tabac. Celles-ci devinrent des interlocuteurs vigilants des sociétés commerciales d’import-export. Elles renforcèrent leur influence par la lutte contre la corruption et les dénonciations des brimades et rançonnements opérés par des fonctionnaires, surtout les agents des forces de sécurité publique. Aux élections générales de 1970, le candidat de l’Organisation des jeunes de la sous-préfecture de Dassa-Zoumè fut élu et celui de l’Organisation des jeunes de la sous-préfecture d’Aplahoué obtint un score honorable de 5000 voix contre 6500 pour le candidat des partis politiques. Dans les villes, les intellectuels infiltrèrent les syndicats de travailleurs du secteur public comme du secteur privé et s’assurèrent leur contrôle par leur dévouement et leur capacité d’organisation. Les syndicats des ingénieurs et cadres de travaux publics, des enseignants du secondaire, des agents des Postes et Télécommunications et celui des douaniers figuraient parmi les plus actifs. Leurs luttes et celles des mouvements de jeunes rythmaient la conjoncture sociale. C’était toujours l’insatisfaction des revendications des travailleurs ou des élèves des établissements d’enseignement secondaire qui créait les conditions favorables aux interventions des militaires. Les difficultés de trésorerie de l’Etat au cours du dernier trimestre de chaque année servaient de justifications immédiates dans les proclamations. Tous les coups d’Etat que notre pays a connu ont été perpétrés soit en octobre soit en décembre. Par militaires interposés, des élites espéraient ainsi parachever le contournement des politiques et accéder au pouvoir. Il n’en fut pas toujours ainsi car les nouveaux maîtres prenaient goût à leurs nouvelles situations et ne retournaient dans les casernes que les oreilles tendues vers les rues, à la recherche des mobiles d’une nouvelle intervention. La Conférence des forces vives de la Nation de 1990 a consacré surtout cet échec des militaires et de leurs alliés. Mais contrairement aux attentes, elle n’accoucha pas d’une nouvelle configuration politique. Très vite, on assista à la restauration du paysage politique qui prévalait avant 1972. Les trois grands blocs qui se partageaient l’espace politique ont retrouvé leur vigueur d’antan. Un quatrième qui tente de créer la nouveauté à travers notre parti, le Parti Social Démocrate, peine à trouver ses marques. La réédition de l’alliance avec les militaires en 1996 n’ouvre pas non plus les perspectives attendues et cette parenthèse se referme, en 2006, dans la confusion et le discrédit. Les nouveaux acteurs politiques

Or le contexte international avait profondément changé. La vague libérale a largement triomphé avec ses conséquences sur la gouvernance mondiale. Les spéculateurs financiers et les chefs des grands groupes multinationaux y exercent une influence de plus en plus grande pendant que décline celle des acteurs politiques et des Etats. Les marges de manœuvre des gouvernements se réduisent et leurs décisions pèsent de moins en moins sur les questions qui affectent la vie des populations. Au même moment, le mouvement associatif a gagné en dynamisme dans tous les pays, favorisant une meilleure participation des citoyens à la prise des décisions et à la conduite des affaires publiques. Ainsi sont apparus de nouveaux acteurs, notamment les collectivités locales, les organisations non gouvernementales et d’autres formes de structuration de la société civile. Ces transformations sociales ont eu bien entendu un impact sur les luttes sociales, sur les processus de prise de décision et sur les rapports de forces. Un combat pour une nouvelle répartition des responsabilités s’est alors engagé avec pour objectif de réduire le rôle des Etats et des acteurs politiques. Il a remporté quelques succès dans les pays développés mais il connaît cependant un reflux ces jours-ci à cause de la crise financière. On peut constater que, ne voulant pas réinterroger la philosophie libérale elle même, beaucoup d’analystes se contentent de dénoncer ses excès. Mais comme toujours, les pays en voie de développement et le nôtre en particulier versent dans la caricature. Soutenus par des ultra libéraux en quête d’expérimentation et face à des Etats anémiés et sous perfusion, les relais africains de cette philosophie politique en viennent à rejeter le politique en lui-même. Insidieusement, ils véhiculent des concepts débilitants sur le politique. Ainsi, lorsqu’une action ne donne pas de bons résultats, l’explication facile est qu’on y a mêlé la politique, entend-on dire souvent. « Ah ce gouvernement va bien travailler puisqu’il ne comprend pas de responsables politiques » renchérissent d’autres. « Ne fais pas la politique avec moi, dis-moi la vérité », entend-on souvent dire parce que l’argumentaire politique ne serait qu’un tissu de mensonges. C’est pourquoi, à la recherche des solutions de rechange aux échecs des pères des indépendances, plus souvent d’anciens élèves de l’Ecole William Ponty au Sénégal, après les échecs des recours aux militaires durant les années 70 et 80, l’appel aux fonctionnaires internationaux répondait mieux, selon certains stratèges du développement, aux exigences de la solution libérale. Présentés comme des porteurs d’un nouveau message salvateur, beaucoup de ces hommes providentiels ont vite sombré par inexpérience politique. D’autres ont tenté de se former sur le tas, admettant ainsi le rôle irremplaçable du politique. La nouveauté aujourd’hui chez nous réside dans le refus de reconnaître la moindre place et encore moins le leadership du politique dans la prise des décisions engageant l’avenir du peuple. Ce mouvement s’amplifie depuis l’élection du candidat Boni Yayi autour de qui s’agglutinent la plupart de ceux qui attendaient un ascenseur. Dans ce contexte, l’activité politique étant une maladie honteuse à leurs yeux, les tenants actuels du pouvoir ne s’y livrent que clandestinement, sans l’avouer. Ils continuent de présenter les membres des formations politiques, à l’exception d’eux-mêmes bien entendu, comme une bande de malfaiteurs composée exclusivement de prédateurs gloutons, qui se désaltèrent avec la sueur des affamés, corrompus et peu soucieux des conditions de vie des populations. C’est d’ailleurs cela qui les disqualifierait quant à la direction du pays et qui légitime la prétention d’autres organisations à assumer cette tâche historique. Selon ces conceptions, point n’est besoin d’avoir des organisations politiques et toute démarche partisane affichée est condamnable. Le rêve de leurs adeptes serait une société atomisée, déstructurée et par conséquent incapable d’opposer la moindre résistance aux orientations retenues par les vrais pilotes de la gouvernance mondiale. C’est dans le même esprit qu’un matraquage médiatique tente d’incruster dans la conscience collective une image angélique des nouveaux acteurs de l’espace public, notamment ceux de la société civile. Ils seraient tous d’intrépides combattants contre la corruption, les seuls vrais porte parole des populations, des partenaires désintéressés des démunis et d’habiles capteurs de ressources auprès de généreux donateurs. C’est d’ailleurs à eux que les bailleurs de fonds étrangers, « qui ne veulent pas se mêler des problèmes politiques », confient leur cagnotte, assurés ainsi qu’elle serait bien gérée ! En réalité, comme dans tout corps social, il est aisé de distinguer les vrais acteurs de la vigilance civile des politiciens en transit au sein des organisations de la société civile. Vous vous souvenez que, lors des élections communales en 2008, le ministre en charge de la décentralisation avait remis aux partis politiques et aux organisations de la société civile, des documents à populariser. Nos sections communales avaient sollicité des aides financières pour organiser des séances d’explication dans les cellules et les villages. Nous n’avions pas pu répondre à leur demande. La presse dénonça quelques mois plus tard l’inaction des partis politiques et salua l’engagement et le patriotisme des organisations de la société civile. Elles avaient mis en œuvre les recommandations du ministre en tenant des réunions avec les citoyens… sur financement d’un partenaire au développement. Elles furent glorifiées « pour ce comportement citoyen » ! Lors des élections législatives en 2007, notre Parti avait voulu jouer de la transparence dans le financement de la campagne. Comme convenu, je m’étais rendu en personne à Lalo pour remettre au comité de campagne réuni au grand complet les cinq millions de francs prévus par la loi pour chaque candidat. Nous nous attendions à des félicitations ou à un encouragement pour poursuivre dans cette direction. Eh bien la réponse nous est venue de l’ONG DHPD qui écrit, à la page 24 de son rapport financé et largement diffusé par l’ambassade royale du Danemark : « Beaucoup de candidats ont financé également des activités culturelles. Le principal leader de ADD dans le Couffo a donné cinq millions (5.000.000) à la population ». J’ai adressé des lettres à son principal animateur, Maître Djogbénou, pour l’inviter à une ultime vérification de son information. Rien n’y fit. Il confirme avec assurance que son organisation a suivi au quotidien les activités sur le terrain. Je suis persuadé que sa forte présomption de culpabilité des responsables politiques l’a emporté sur la rigueur de jugement qu’on lui connaît.

 

Le déclin de l’activité politique

 

Ces quelques observations sur des périodes que vous avez ou n’avez pas connues, expliquent, tout au moins en partie, le déclin de l’activité politique et la montée en puissance de ce qu’on dénomme le contrôle citoyen, nouveau raccourci pour certains acteurs d’accéder au pouvoir. Le prestige dont jouissent ceux qui y participent et les moyens financiers dont ils disposent exercent un puissant attrait sur les élites. Il faut reconnaître que leur désertion de la sphère politique pour se refugier dans d’autres structures sociales plus valorisantes puise sa sève dans les turpitudes des acteurs politiques. Pour m’en tenir à l’actualité, nul ne peut être fier d’être membre d’un Parlement où le muscle tend à remplacer le cerveau, où l’argent devient le moteur, non pas honteux mais gratifiant et public, des prises de position. Que des membres d’un gouvernement de la République se promènent dans les couloirs de l’Assemblée nationale ou s’installent dans des salles, avec des sacs d’argent, à la recherche d’un député à capturer est plus qu’attristant. Il y a là une insulte, du reste méritée, au Représentant du peuple et au peuple. Je n’avais jamais eu connaissance de telles pratiques au cours des législatures antérieures. La banalisation des comportements les plus abjectes des acteurs politiques n’incite aucune personne respectueuse de lui-même à vouloir nous rejoindre dans les formations politiques. L’image que projette l’Assemblée Nationale tout comme la pauvreté des débats politiques dans l’ensemble du pays constitue le meilleur repoussoir inventé par la classe politique. Quand bien même l’argent enfume de plus en plus la vie politique, pour le plus grand malheur de la démocratie, son usage comme arme décisive de conviction a atteint un niveau qui ne doit laisser aucun d’entre nous indifférent. C’est pourquoi notre jeunesse, déroutée par toutes ces déviances, s’adonne à des pratiques honteuses et déshonorantes. Elle en vient à considérer l’enrichissement matériel comme la valeur suprême qui ouvre toutes les portes et s’enlise dans des trafics de toute sorte. La transhumance politique est une des formes de la délinquance politique. J’étais triste l’autre jour en voyant un ancien député, pour qui j’avais de l’estime, chanter, danser et même remercier Dieu d’avoir rendu possible son indigne comportement électoral. Ces dérapages ont suscité des interrogations dans nos rangs, au PSD. Les comportements de nos partenaires au sein du G4 ont réveillé nos débats sur la pertinence de nos alliances et de notre ligne politique. Les vieilles rancoeurs contre nos partenaires d’aujourd’hui ont refait surface. Il est vrai que lors de la formation du gouvernement actuellement en place, le Chef de l’Etat nous avait proposé des postes dont une position de ministre d’Etat. Le titulaire pressenti avait même été contacté directement et j’avais reçu moi-même l’émissaire du gouvernement à plusieurs reprises. Chacun de nos députés, sans exception, avait fait l’objet de contacts discrets dans le cadre de la politique de débauchage. Malgré ces sollicitations alléchantes, nous avions décliné ces offres parce qu’elles trahissaient les valeurs qui fondent notre engagement politique, ne reposaient sur aucun accord de programme politique encore moins de gouvernement et signifiaient la rupture d’avec les autres membres du G4. La présence par la suite, dans l’équipe gouvernementale, de deux membres du Madep et d’un membre de la RB a conforté ceux de nos militants qui privilégiaient notre rapprochement solitaire avec le Pouvoir. Les prises de position de la RB ces derniers jours n’ont pas été non plus de nature à clarifier la situation et à rassurer les militants. C’est le lieu de saluer et de féliciter tous ceux qui, comme nos amis du G13, ont résisté aux appâts qui nous ont été tendus. Ils ont compris que ce n’était ni la recherche d’intérêts personnels, ni la fidélité à nos alliés qui devraient inspirer nos prises de position. Ce doit être à tout moment les valeurs de la social-démocratie. Sans boussole, aucun progrès n’est possible. Nos amis du Ghana et de Madagascar nous offrent deux exemples, l’un relatif à une situation maîtrisée par de vrais partis politiques et l’autre embourbée dans les combats d’hommes d’affaires providentiels. Cela signifie que les dévoiements des acteurs politiques et la pollution repoussante de l’espace politique doivent nous inciter à initier courageusement les réformes nécessaires à l’assainissement de nos mœurs et pratiques politiques.

 

Que faire ?

 

Pour y parvenir, notre Parti avait décidé d’entreprendre un patient travail de formation afin de donner à notre pays des dirigeants politiques de demain dont nous pourrons être fiers. Les expériences en cours dans le monde entier confirment que seules des orientations politiques partagées par de vraies équipes politiques peuvent conduire à des résultats durables. Partout, les décisions sur l’avenir des peuples se prennent dans des cercles politiques et les autres organisations ne peuvent le faire sans trahir leur vocation. C’est la démarche partisane qui offre au peuple les possibilités de choix et vivifie les libertés. Aussi devons-nous déployer un trésor d‘arguments pour convaincre et amener les élites à s‘engager dans les partis politiques afin précisément de corriger leur image et leur faire jouer leur rôle de formatage des dirigeants nationaux. Sans perdre de vue les exigences électorales, notre Parti doit s‘inscrire dans le moyen et long terme. Les jeunes en particulier doivent faire l’objet d’une attention soutenue. Nos programmes de formation s’adresseront à eux en priorité. Ce doit être une obligation pour ceux d’entre eux qui sont membres de notre Parti de suivre les séances de formation consacrées aussi bien aux questions politiques qu’à l’éthique. Il nous revient le devoir de rassembler dans les quartiers et les services, sur les campus et dans les collèges, tous ceux qui voudraient redécouvrir le militantisme, l’action politique, patriotique, bénévole. Nous ne disposons d’aucun budget pour cela et ne devons nous attendre à aucune aide. « Je ne prétends nullement, et loin s’en faut, écrit Dominique Strauss-Kahn dans son dernier ouvrage ‘’La flamme et la cendre’’, que l’objectif premier qui motive et justifie le combat politique soit de conquérir et de conserver le pouvoir. L’objectif est bel et bien de défendre des idées et de tenter d’y rallier ceux qui ne le partagent pas. Ce qui passe avec les idées, c’est une morale. Le socialisme est une morale pour l’action – ou il n’est rien. Il est moral parce qu’il témoigne d’un sentiment d’injustice devant les affaires d’un monde dont il perçoit la possible perfectibilité. S’il s’exonère de ce sentiment, donc de cette morale, il se résout à n’être qu’un vulgaire mode d’organisation et de distribution du pouvoir comme des richesses ». « Des hommes sont morts, ajoute-t-il, pour que nous puissions, aujourd’hui, choisir notre destin. D’où cette éthique, minimale mais concrète : l’abstention politique est une forme de renoncement à une partie de soi ». C’est pour cela que notre Parti doit engager des concertations avec nos partenaires politiques afin de parvenir à l’élaboration d’un programme minimum d’assainissement et de réhabilitation de l’action politique. Pour ce faire il nous faut, à tout le moins :

Promouvoir de meilleures relations entre les formations politiques et les organisations syndicales et celles de la société civile ;

Initier une proposition de loi qui responsabilise les partis politiques et les alliances de partis politiques et met fin au mandat de tout élu qui change d’appartenance politique.

Initier une proposition de loi sur le financement public des activités politiques dans le cadre de la lutte contre la corruption et de la promotion de la démocratie au sein des formations politiques. Enfin, quoi de plus normal que les tenants du pouvoir cherchent à s’y maintenir. La création de l’alliance FCBE répond à cette préoccupation. Notre lutte doit consister à refuser la confiscation de tout l’espace politique par ce groupe. S’opposer à la restauration du parti unique est une tâche patriotique à laquelle nous ne saurions déroger. Comme certains de leurs prédécesseurs, les tenants du pouvoir utilisent les mêmes armes de débauchage, de menace et de chantage pour parvenir à leurs fins. Il n’est pas exclus qu’ils recourent à la violence et jettent les récalcitrants dans des prisons civiles. Pour l’heure, ils préfèrent s’en tenir à la prison économique en éliminant les adversaires ou leurs présumés sympathisants de l’accès aux marchés publics et aux postes de responsabilité dans le but de leur ôter toute possibilité de survie économique et de résistance politique. Les persécutions dont nos camarades sont victimes dans les administrations ne sauraient nous décourager. Des enquêtes et des interrogatoires permettent de détecter nos militants, de leur faire subir toutes sortes d’humiliation. Les mises en garde éloignent nos sympathisants. Certains opérateurs économiques en sont à leur troisième vérification en quinze mois. Malgré cette sournoise répression et surtout à cause d’elle, comme ceux qui sont morts et à qui Strauss-Kahn rendait hommage, nous devons accepter les sacrifices qui nous sont imposés. La victoire de la vérité et de la justice se fraye souvent son chemin à travers des grilles de prisons.

 

Mes chers amis,

 

Soyez toujours les défenseurs de la vérité et des libertés. N’aspirez pas à être des reptiles mais à vous tenir debout et fiers. Croyez moi, ce combat procure d’immenses satisfactions et donne un sens à la vie. Ainsi, quel que soit votre âge, vous ne connaîtrez jamais de crépuscule. Vous serez au plus à midi.

Bruno AMOUSSOU Président du Parti Social Démocrate du Bénin psdbenin@gmail.com partisocialdemocratebeninp@yahoo.fr



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