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« En Afrique, il faut venir avec une mentalité d’entrepreneur, pas de banquier… »
 
 
05-07-2010
 

La Compagnie Benjamin de Rothschild fait partie de ceux qui croient fermement à l’Afrique et qui pensent que son développement passera par de nouveaux paradigmes, telles que l’économie positive. Hugo Ferreira, membre de la direction, Africain de naissance et de cœur, nous expose sa vision.

 

« La dernière chose que je veux, c’est arriver en Afrique avec mes principes européens et tenter de les imposer. C’est ce qu’on a fait pendant 50 ans… on le sait, ça ne marche pas. Il faut que les Européens fassent un effort pour s’adapter à l’Afrique. »

 

Les Afriques : Que fait le Compagnie Benjamin de Rothschild en Afrique ?

 

Hugo Ferreira : Nous sommes intéressés essentiellement par l’Afrique subsaharienne. Notre groupe a, déjà depuis un certain temps, une activité vinicole en Afrique du Sud. En ce qui concerne la Compagnie elle-même, nous avons effectué plusieurs montages PPP, notamment au Sénégal, en collaboration avec l’Apix, pour le financement d’un tronçon autoroutier. Nous lançons également un fonds en Angola. Ce fonds, de droit luxembourgeois, comprendra trois compartiments : infrastructures, immobilier et PME. Il rassemblera, dans un premier temps, des investisseurs locaux et il a vocation à s’élargir ensuite aux capitaux internationaux.

 

LA : Comment envisagez la gestion du risque sur le compartiment des PME ?

 

HF : Ce compartiment sera lancé en 3e position, après celui des infrastructures et celui de l’immobilier. Ce fonds sera géré par une équipe sur place, que nous accompagnerons. Mais, il est clair que la gestion sera de toute façon locale.

 

LA : Vous abordez également des projets environnementaux et sociaux. Quels sont-ils ?

 

HF : Nous avons une participation majoritaire dans une société, BeCitizen, qui est spécialisée dans l’environnement et plus particulièrement dans la finance carbone. Vous savez que l’Afrique, contrairement à l’Asie et l’Amérique latine, a très peu profité des avantages de cette finance, alors qu’elle dispose, dans ce secteur, d’un potentiel important. Nous orientons donc l’activité de ce département vers l’Afrique, plus particulièrement vers la RDC, où nous commençons par la réhabilitation de barrages. Nous avons beaucoup regardé le projet Inga, un chantier énorme, extrêmement intéressant pour le continent tout entier, et même au-delà. Mais, dans un premier temps, nous commençons par de plus petits barrages.

« Nous avons nos critères de bonne gouvernance. Lorsque, dans un dossier, nous constatons qu’il n’est pas possible de les respecter, nous préférons renoncer. Nous sommes très stricts sur ce point. »

Nous travaillons également sur la forêt tropicale. Nous mettons en place un mécanisme financier afin d’apporter des solutions concrètes et durables au marché du bois tropical.

Nous essayons, par ailleurs, de développer un projet de jatropha au Burkina Faso.

Enfin, nous travaillons en RDC sur un projet de réhabilitation de la ligne de chemin de fer entre Ndjili et le centre de Kinshasa. Une grande partie de la population de Kinshasa s’est étendue vers Ndjili, sur plus de 30 kilomètres, sans qu’il existe de moyens de transports, ce qui fait que des gens marchent jusqu’à une heure et demie à deux heures pour aller travailler. Or, il existe sur ce tronçon une ancienne voie ferrée. Nous avons donc entrepris, sur financement du gouvernement indien, de la réhabiliter et de l’équiper de matériel roulant provenant des chemins de fer suisses. Cette ligne permettra, par la suite, de réaliser une liaison ferroviaire entre l’aéroport de Ndjili et Kinshasa, et de dégager ainsi une rentabilité minimale.

 

LA : D’où vient cet intérêt particulier de la Compagnie Benjamin de Rothschild pour la RDC ?

 

HF : Tout d’abord, la Baronne Benjamin de Rothschild y a vécu plusieurs années. Moi-même, j’y suis né et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de quinze ans. C’est un pays qui a besoin de tout et qui dispose d’un potentiel considérable. Nous étudions d’ailleurs l’éventualité de répliquer en RDC le montage du fonds que nous créons actuellement en Angola.

Nous nous sommes également intéressés, à la demande du gouvernement, à la revisitation des contrats miniers, dont certains avaient un caractère léonin. Nous ne sommes pas intervenus sur la négociation entre le gouvernement et les autorités chinoises, ni sur les intérêts privés dans ce domaine.

 

LA : Comment protégez-vous votre réputation de banque internationale de prestige en travaillant sur des pays aussi difficiles ou sur des dossiers aussi délicats ?

 

HF : Nous avons nos critères de bonne gouvernance. Lorsque, dans un dossier, nous constatons qu’il n’est pas possible de les respecter, nous préférons renoncer. Nous sommes très stricts sur ce point. Mais, d’une manière générale, quand il y a de la bonne volonté, nous parvenons le plus souvent à définir des règles acceptables.

 

LA : Apportez-vous une assistance aux Etats pour monter des projets MDP (Mécanisme de développement propre) ?

 

HF : A ce jour, oui, mais pas encore en Afrique. Nous travaillons avec le gouvernement des Maldives pour permettre à ce pays d’atteindre, en 2020, un objectif de zéro émission de CO2.

 

LA : Votre compagnie développe le concept d’économie positive. Qu’est-ce ?

 

HF : Nous avons pris conscience de l’urgence qu’il y a à développer une économie respectueuse de l’environnement et du social. A contrario, une économie négative, c’est exactement ce qui existe aujourd’hui et qu’il faut changer : on tire sur les ressources minières sans se préoccuper de la finalité, on provoque des catastrophes comme dans le golfe du Mexique, on prend des grumes en Afrique pour fabriquer des meubles en Chine qui seront vendus en Amérique… Tout cela est absurde et met en grand danger les équilibres naturels et sociaux. C’est pourquoi, nous croyons fermement à l’Afrique, car ce continent peut se développer différemment. Il dispose de la puissance de ses fleuves, du soleil, de la biomasse… son potentiel en énergies renouvelables est énorme.

 

LA : Diriez-vous que l’Afrique présente plus de risques qu’ailleurs ?

 

HF : Si on écoute les agences de notation, oui, bien sûr. Maintenant, tout dépend de la manière dont les dossiers sont structurés. Les risques pays sont réels, mais ils sont bien souvent exagérés par les agences. Et l’Afrique offre, en contrepartie, des rendements qui peuvent être importants, même en respectant des règles sociales et environnementales positives.

 

LA : En quoi le fait d’avoir vécu en Afrique vous aide à gérer ces risques ?

 

HF : Cela m’aide à comprendre la mentalité de mes interlocuteurs. La dernière chose que je veux, c’est arriver en Afrique avec mes principes européens et tenter de les imposer. C’est ce qu’on a fait pendant 50 ans… on le sait, ça ne marche pas. Il faut que les Européens fassent un effort pour s’adapter à l’Afrique. Peut-être en observant davantage ce que font les Chinois. Ils ont des prises de décision rapide. Ils apprennent et ils entreprennent. En Afrique, il faut venir avec une mentalité d’entrepreneur, pas de banquier… Nous sommes beaucoup trop conservateurs pour réussir sur ces pays !

 

LA : Comment expliquez-vous que des sociétés juniors minières, sur la seule foi d’un certificat de gouvernement africain, parviennent à lever des fonds considérables, presque sans contraintes ni obligations ?

 

HF : En effet, je n’ai jamais compris comment ces sociétés ont pu lever tant d’argent, notamment sur les bourses canadiennes. En termes de risque, c’est étonnant. Il ne peut s’agir que de spéculation et d’opérations de marketing financier. Mais, je ne pense pas qu’aujourd’hui, après la crise financière que nous venons de subir, ce schéma soit encore réalisable.

De mon point de vue, les Etats doivent mettre en place des règles, définir des cahiers de charges, fixer les grandes lignes de développement économique. Et le secteur privé doit exploiter, entretenir, prendre des risques. C’est pourquoi nous avons développé notre savoir-faire en montage PPP. Le système de concession minière est juste, en soi, à condition que le gouvernement remplisse bien son rôle, impose les bonnes règles, qui garantissent les intérêts du pays, protègent l’environnement et les populations. Nous croyons beaucoup au développement du PPP en Afrique.

 

LA : Vous venez d’adhérer au Swiss African Business Circle (www.sabc.ch). Beaucoup de banquiers, financiers, traders, en Suisse, travaillent sur l’Afrique, mais très peu le reconnaissent publiquement. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de briser cette omerta ?

 

HF : Je suis en effet frappé par le nombre de gens, ici, qui connaissent l’Afrique, travaillent en Afrique ou avec l’Afrique. Mais, on en parle très peu. Nous avons donc décidé de constituer une association pour rassembler des gens qui agissent réellement en Afrique et qui veulent faire des choses qui ont un sens pour l’Afrique. En moins de deux mois, nous sommes déjà une vingtaine de sociétés. Nous allons organiser des rencontres, échanger nos expériences, développer un réseau actif.

 

Propos recueillis par Dominique Flaux, Genève
 
Source: Les Afriques
Tag(s) : #Politique Africaine
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