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Lignes Ennemies
par Souleymane Jules Diop

 

  

 

 


 

Liaisons secrètes



« La seule chose qu’on ne peut
embellir sans qu’elle en périsse,
c’est la vérité »
Jean ROSTAND

 

Il est un débat qui, à mon avis, est mal posé. C’est l’implication ou non de l’ancien président Abdou Diouf dans les affaires du Sénégal. D’abord, rien ne l’empêche de le faire. L’actuel secrétaire général de l’Oif est le promoteur du tournant politique de l’institution inspirée par Senghor, en décernant un peu partout des satisfécits aux chefs d’Etat et en imposant des sanctions comme il l’a fait contre Madagascar, contre le Niger et récemment contre les putschistes qui ont fait tomber le président Tanja. Il n’y a aucune disposition de l’Oif qui stipule que le pays du dirigeant de l’institution doit faire exception à cette nouvelle règle. Les statuts de la Francophonie l’obligent à des prises de position sur tous les pays membres, le Sénégal compris.
Mal posé ensuite, parce que dans la réalité, Abdou Diouf s’est toujours prononcé sur la situation du Sénégal. Il a été le premier d’entre tous à décerner un satisfécit à Abdoulaye Wade, en lui octroyant le prix Houphouet Boigny pour la paix, malgré son rôle néfaste et son implication pour le moins controversée dans le conflit ivoirien. Le patron de la Francophonie a prononcé ce jour-là un discours si élogieux qu’il a pris de court son propre entourage, surpris par autant de dithyrambes. Pendant ce temps et en présence d’un Jacques Chirac ébouriffé, son propre parti, le Ps, manifestait dehors contre « le despote » qu’on mettait à l’honneur. Abdou Diouf n’a jamais raté l’occasion d’exalter le « démocrate » et de saluer l’homme des « grands chantiers ». Quand son parti a appelé au boycott des législatives de mars 2009, il a été le premier homme politique à se présenter à son bureau de vote parisien pour jeter son bulletin dans l’urne. Son parti ayant été absent de ce scrutin, on ne peut pas imaginer qu’il ait jeté son enveloppe pour Cheikh Bamba Dièye.
Abdoulaye Wade ne l’a pourtant jamais épargné. Dès son accession à la présidence de la République et au cours de sa première sortie en tant que chef d’Etat, les Wade ont dénoncé « la saleté des Diouf » et se sont émus qu’ils aient pu cohabiter pendant 20 ans « avec des rats ». Une visite a été organisée avec la presse, dans l’intimité du démocrate déchu. On pouvait voir, exposés à la vue des journalistes, les souliers troués de l’ancien président, le bras cassé du fauteuil sur lequel il s’adossait pour « jouer aux dames ». Les gendarmes en faction, sans doute enseignés par les nouveaux maîtres, n’ont pas manqué de s’apitoyer sur le sort d’une grue couronnée disparue de l’allée qui mène à la salle des Banquets. « Elle est morte de soif », avait informé sur un ton indigné le personnel de garde. Sur les murs apparaissaient aussi des petits pans carrés, épargnés de l’usure du temps : « Là étaient les tableaux offerts à l’Etat du Sénégal, volés par les Diouf. »

 
C’est le piteux sort qu’Abdoulaye Wade a réservé à son prédécesseur et « cousin ». Dès les premiers mois de sa présidence, l’entourage du président de la République a réservé ses plus humiliantes réparties à celui qui a « trahi son pays » en choisissant de vivre « à l’étranger ». La déclaration récente des sénateurs sur un soutien éventuel à Lamine Diack, commanditée depuis la présidence de la République, n’est qu’une énième tentative de destabilisation d’Abdou Diouf, à quelques jours d’un troisième mandat controversé.


Contrairement à une idée répandue, Abdoulaye Wade n’a jamais vu d’un bon œil la candidature d’Abdou Diouf à la Francophonie. J’ai une fois posé la question au président de la République, au cours d’un voyage en 2000 et il s’en était fâché. « Je ne veux plus qu’on me le demande, il m’a lui-même dit que ça ne l’intéresse pas », m’avait répondu Abdoulaye Wade. J’avais, à l’époque, parlé d’une rencontre qui s’est tenue entre les deux hommes, dans un hôtel parisien. J’avais été démenti publiquement par Abdoulaye Wade. Mais je peux attester aujourd’hui, de la manière la plus formelle, qu’Abdou Diouf s’est déguisé pour aller à la rencontre d’Abdoulaye Wade, par une porte dérobée. Le problème tenait au fait que, selon Wade, de nombreux chefs d’Etat africains, parmi lesquels Denis Sassou Nguesso, s’étaient inquiété du fait qu’Abdou Diouf, avec sa stature, puisse briguer la présidence de la Francophonie, qui est sur le plan protocolaire, l’équivalent d’un poste de ministre des Affaires étrangères. Et qu’ils se sentiraient gênés de ne pouvoir aller à son accueil, pendant ses visites officielles. « Dafa tuuti ci yow », avait lancé Abdoulaye Wade. « Bon nak nu bayi noonu », avait répondu Abdou Diouf. Le président Wade ne s’est engagé dans la campagne pour l’élection de Diouf qu’à la suite d’une conversation téléphonique avec le président Chirac. « Monsieur le président, je vais vous le dire. Si vous ne soutenez pas sa candidature, vous allez être humilié. Parce que la France va le présenter et il va passer. Je peux vous l’assurer », avait soutenu Chirac, sensible au sort de son ami. Le sénégalais est finalement passé contre le favori congolais Henri Lopes, obligé de retirer sa candidature en octobre 2002, pour assurer l’élection du candidat de la France au sommet de Beyrouth.


Depuis, Abdoulaye Wade tient son prédécesseur dans une parenté et une franche camaraderie trop tardives pour convaincre. Lors du mariage de la fille d’Abdou Diouf, le président Wade s’y est fait représenter par son fils Karim et son neveu Doudou, avec des clés d’un véhicule de luxe comme « cadeau de mariage ». Le téléphone a encore sonné quand le frère du président, Magued, devait être déféré au parquet dans une affaire de gros sous qui l’opposait à des actionnaires. Le président Wade a littéralement reproché à son prédécesseur de ne l’avoir pas sollicité pour une intervention. « Ah mais, il fallait me tenir au courant, c’est la famille. Là, si je n’interviens pas, il va aller en prison ». L’intervention du chef de l’Etat a été très utile, puisque plus personne n’a évoqué cette affaire. C’est une gentillesse bien calculée. Toutes ces bonnes actions sont autant de moyens pour le chef de l’Etat de tenir son prédécesseur en laisse.


Mais son mépris pour son prédécesseur est total, Wade ne manque jamais de l’exprimer à haute voix ou de le faire dire par ses sbires. Dans une lettre qui restera dans les annales de l’histoire comme la plus insipide qu’un chef d’Etat ait rédigée de sa main, il l’a accusé pêle-mêle d’avoir enterré des albinos au palais de la République, d’avoir fait tuer Sadibou Ndiaye, de s’être octroyé toutes sortes de faveurs indues. Abdou Diouf a même disparu du générique de la télévision nationale pour ne laisser que les deux géants de l’histoire qui se toisent sans se toucher, Senghor et Abdoulaye Wade. Babacar Diagne le trouve trop petit pour y figurer.


Ce traitement humiliant n’est pas pour décourager Abdou Diouf, bien au contraire. Son encolure de girafe ne l’a jamais désavantagé, quand vient le moment de se rabaisser. Dès qu’il est à Dakar, il s’empresse d’aller « remercier » Abdoulaye Wade et se garde de rencontrer ses anciens camarades de parti. Mais ce n’est pas qu’au Sénégal qu’Abdou Diouf déçoit. On lui reproche d’envoyer aux élections africaines des observateurs consentants pour obtenir en contrepartie le soutien des chefs d’Etat, nécessaire à sa réélection. Son cabinet pléthorique, son budget de fonctionnement surdimensionné et sa gestion hasardeuse, à la limite de l’indécence, ont déjà été dénoncés par les québécois, principaux contributeurs à côté des français. Il y avait une règle établie, qui voulait que chaque président de l’institution se limite à deux mandats. Ses deux prédécesseurs se sont pliés à cette injonction non écrite, mais Abdou Diouf refuse. On comprend la gêne qu’il peut éprouver, à refuser à Abdoulaye Wade un troisième mandat pour lequel il est lui-même en train de se battre. Ce que Tanja a tenté pour mériter l’opprobre, c’est ce qu’Abdoulaye Wade veut expérimenter. Mais il ne le verra jamais de cet œil. C’est un peu trop de cécité pour un homme qui, depuis l’âge de 22 ans, vit aux frais des sénégalais.


C’est une fin honteuse pour deux hommes qui doivent se ressembler, pour devenir si grands complices. Abdoulaye Wade ne va d’ailleurs jamais loin pour trouver ses exemples. « Abdou Diouf faisait de même avec son frère, ministre chargé des Mines. Je fais la même chose avec mon fils. Sauf que mon fils a la compétence », avait-il répondu au Journal du dimanche, qui l’interrogeait sur la promotion fulgurante de son fils. Il ne faut pas lui enlever tout son mérite, Diouf en a sans doute. Mais en le voyant faire autant de courbettes et s’accrocher à un troisième mandat comme une huitre à son rocher, on peut douter qu’il ait quitté le pouvoir par sa seule volonté. La rue était peut-être trop déterminée pour lui laisser le choix. Abdoulaye Wade n’est que sa prolongation caricaturale, et nous devons nous armer de la même détermination pour le faire partir.


SJD

 



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