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Mise en route de «La Route des Pêches»: 200 millions d’euros pour quoi faire?

 

18/12/2009

 


200 millions d’euros, ou plus de 131 milliards de francs Cfa d’investissement par le gouvernement du Bénin pour un projet à vocation touristique ! C’est colossal, vu le caractère délicat et l’envergure d’un tel type de chantier à gérer par l’État, au moment même où la plupart des sociétés et entreprises sous sa tutelle souffrent de mauvaise gestion et qu’il cherche à céder à des privés ces unités de production.


 

Il s’annonce, ces derniers jours, une mise en route du projet de construction du complexe touristique dénommé «La Route des Pêches» en maquette depuis presque 10 ans bientôt. Et ce, suite à l’accord de prêt obtenu par l’État béninois auprès de la Banque africaine de développement (Bad).
L’État béninois disposerait-il à nouveau des  capacités   réelles pour conduire des chantiers   d’investissement  aussi lourds que celui de la «Route des Pêches»? La question se pose et mérite d’être soulevée lorsqu’on est au courant des difficultés du gouvernement et de l’administration publique, en général, à conduire efficacement et à bon terme la plupart des chantiers ouverts depuis quelques années. Elle se pose davantage, à voir de près les difficultés de l’Etat à gérer des entreprises relevant du secteur de production de richesses.
Il n’y a plus de doute sur la nécessité de viabiliser cette zone du long de la plage de Cotonou en direction de celle de Ouidah, vers l’ouest aux abords de l’océan Atlantique. Cependant, le projet tel qu’envisagé par l’Etat béninois paraît trop ambitieux en amont et en aval de sa réalisation. Ce qui amène à faire quelques observations qui s’imposent, à cette étape où, déjà, le financement a été trouvé pour passer à la phase d’exécution dudit projet.

 

Des doutes qui subsistent

 
Serait-ce un défi à l’Etat béninois de le voir avancer à nouveau dans un tel projet sans prendre en compte ces quelques remarques importantes, à notre avis, pour réévaluer ses capacités à faire face à un pareil projet de développement en matière touristique? Il convient pourtant de constater que dans un tel enjeu, les dirigeants semblent se substituer aux investisseurs privés. Beaucoup de pays au monde ont compris aujourd’hui que la promotion de certains secteurs vitaux de leurs économies relève plus du privé que de la gestion des acteurs du public. Le tourisme fait partie de ces secteurs dévolus à des investisseurs privés et l’expérience béninoise elle-même le prouve à plus d’un exemple. Il n’y a qu’à voir combien aujourd’hui Casa del Papa rehausse la ville historique de Ouidah et y attire à grandes affluences des visiteurs de toutes origines tout au long de l’année, sans interruption. Si ce projet de complexe touristique a mis du temps à évoluer depuis sa conception jusqu’à ce jour,  c’est peut-être aussi à cause de son caractère très délicat.


En effet, l’Etat devrait encourager des privés à saisir une telle opportunité en les associant à la phase de formulation  dudit  projet. Ce qui n’a pas été le cas. Aujourd’hui, il est question d’un site de grande envergure, et les prétentions de nos dirigeants à y avancer sur la base de la maquette-projet proposée (voir article du Journal L’Autre Quotidien du 12/11/09, rubrique «Économie/Tourisme») nécessitent d’être revues à leur juste mesure. Car, les hôtels de grand standing prévus par les promoteurs dudit complexe sont loin de répondre aux attentes et aux moyens du grand nombre de Béninois moyens qui, avec moins de dix dollars US soit 5000 F Cfa, peuvent s’offrir un abri de hutte pour leurs loisirs en week-end. De plus, si les promoteurs prévoient un complexe hôtelier de 2000 chambres, avec comme avantage social 8000 emplois directs, c’est à croire que l’Etat béninois dispose à l’heure actuelle d’au moins une centaine de managers d’hôtels, de dizaines de milliers de restaurateurs en attente sur le marché de l’emploi ou en formation quelque part pour être destinés, d’ici à là, à l’emploi au sein de ce complexe. Autrement, doit-on s’attendre à une cession-gérance à des privés d’un actif hôtelier ne répondant pas aux goûts ni des Béninois, ni des acteurs du secteur touristique, ni d’éventuels touristes étrangers pour lesquels les vagues violentes de l’océan le long de cette plage s’offrent moins au plaisir du bain de mer?


Le plus délicat, à notre avis, c’est moins d’avoir consenti la dette auprès de la Bad que de passer sous peu le marché de la réalisation dudit complexe touristique, avec des réseaux de promoteurs suivant les coutumes du copinage et de l’amateurisme sans issue. Ainsi, sur la nécessité de viabiliser une zone potentiellement attrayante au tourisme, l’Etat, à l’heure actuelle, s’endette, sans garantie de réussite ni en amont ni en aval. D’autant plus qu’il reste à résoudre objectivement les nombreux problèmes liés à l’expropriation des terres dans cette périphérie où les villageois, premiers occupants auxquels elles appartiennent ne cessent de crier leur ras-le-bol à l’encontre du projet. Si à l’avenir les promoteurs envisagent d’associer des investisseurs privés à ce projet, il n’en demeure pas moins urgent de lever les obstacles actuels liés à ces enjeux conflictuels du foncier dans cet espace géographique viable à la lisière de la ville de Cotonou.


En aval, même si le secteur touristique connaît un bond, ces dernières années au Bénin, avec une plus grande drainée de visiteurs à destination du Bénin, plusieurs incertitudes demeurent, en ce qui concerne la rentabilité d’un pareil projet. Rien qu’à voir les énormes problèmes qu’engendrent l’érosion côtière et les moyens de son interruption au Bénin, l’on devrait s’attendre à ce que les promoteurs d’un site de cette envergure donnent les preuves d’une fiabilité de l’espace géographique du site sur le moyen et le long terme. Faut-il alors continuer à mettre le pays dans des dettes aussi énormes en occultant de prendre avec plus de sérieux la mesure des risques d’affaires et d’investissement dans ce domaine?

 

 

Un développement plus respectueux de ce que les gens attendent


Tout ouvrage de développement, même touristique, doit partir avant tout des besoins et des attentes et capacités des Béninois  eux-mêmes à y accéder pour leurs loisirs et pour le tourisme. Au regard des enjeux actuels, l’État béninois devrait normalement accompagner le secteur privé dans la prise en compte des besoins et des attentes des Béninois pour l’investissement. Il n’est pas concevable qu’en même temps que l’Etat prétend privatiser, le même État, en plein cœur du processus de décentralisation, prenne à nouveau le rôle de promoteur et se substitue aux acteurs du privé, à moins qu’ils soient absolument défaillants.
De là, les intérêts du pays sont en déficit continuel. Car, quelle gestion l’Etat garantit-il à de telles infrastructures hôtelières et touristiques si l’existant dans ce domaine est difficile à reconstituer? Les cas de Plm Alédjo, Sheraton Hôtel désormais Bénin Marina Hôtel, Hôtel du Lac et Hôtel Croix du Sud évoquent des souvenirs et même des actualités en ce qui concerne les difficultés de gestion par l’Etat béninois des unités de l’industrie hôtelière et d’autres. Il ne semble donc pas réaliste que l’Etat ambitionne d’investir dans ce secteur où il a fait ses preuves d’insuccès pendant plusieurs décennies.


En outre, en considérant l’environnement béninois et les perspectives de développement touristique, il est à souhaiter que les promoteurs démontrent encore avec plus de pertinence la rentabilité économique et sociale d’un pareil projet en l’état de la maquette-projet actuelle.
Ce qu’il conviendrait d’envisager dans le cadre d’un projet alternatif de viabilisation de «La Route des Pêches», c’est la possibilité d’infrastructures moins lourdes et moins en bétons armés, accessibles à davantage de Béninois et tenant compte du goût exotique des visiteurs non Béninois. L’État pourrait associer des promoteurs privés prêts à investir dans ce domaine pour envisager la mise en place le long de ce chenal maritime de petits hôtels faits de bungalows, de petites bâtisses en huttes modernes, par exemple, plus naturels, qui fassent place à des espaces verts de loisirs et qui s’offrent davantage aux pique-niques, plutôt que 2000 chambres d’hôtels 3, 4 ou 5 étoiles en somme inhabitables au fil des jours. Les 200 millions d’euros de dette pourraient bien être déployés autrement par l’Etat et l’administration béninoise au profit de promoteurs du privé plus à même de prendre des risques d’affaires au-delà des seuls travaux de construction du site touristique.  

 

Luc Assogba

Source: La Croix du Bénin

Tag(s) : #Politique Béninoise
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